Illustration de l'article

Il fut un temps (probablement extrêmement lointain comparativement à l’âge des outils informatiques) où il fallait souvent patienter de très longues minutes pour se connecter au réseau mondial tout juste naissant, et ce, en endurant, avec autant de vaillance que possible, le son strident d’un modem souvent poussif. À cette époque reculée, la communication se résumait le plus souvent à quelques simples échanges entre individus : le courrier électronique ne faisait, en définitive, que remplacer l’envoi postal traditionnel, en en raccourcissant significativement les délais. En ce temps-là, les espaces d’échanges réunissant plusieurs personnes s’avéraient encore relativement rares. Néanmoins, assez rapidement, quelques règles élémentaires émergèrent afin que la plus modeste des listes de discussion ne devienne pas un genre de capharnaüm où chacun pourrait déclarer n’importe quoi comme bon lui semblerait. Ainsi naquit une de ces trouvailles (et incidemment, un intéressant néologisme) dont le « petit monde » de l’informatique possède indéniablement le secret : la nétiquette. Et, pendant pas mal de temps, force est de constater que le principe fonctionna plutôt pas trop mal, même si souhaiter rejoindre une liste ou un forum demandait alors un minimum d’effort (qu’il s’agisse de motiver éventuellement ses intentions auprès d’un modérateur ou, occasionnellement, de se présenter en quelques mots à un groupe déjà constitué).

Aujourd’hui que l’utilisation des « réseaux sociaux » semble bien implantée parmi toutes les personnes munies d’un clavier et d’un écran, il en va semble-t-il autrement : il suffit, le plus souvent, d’appuyer sur un simple petit bouton coloré pour rejoindre une communauté ou se retrouver admis parmi les relations d’un individu. Si vouloir intégrer un groupe de personnes avec qui on partage un intérêt ou une passion commune ne pose généralement pas de problème particulier (surtout si le sujet s’avère aussi inoffensif, en apparence, que la pêche à l’épuisette ou la cuisine au beurre), souhaiter faire partie des « connaissances personnelles » d’une personne relève probablement d’un cas de figure assez différent.

Bien évidemment, si vous vous trouvez être quelqu’un de « célèbre » ou, à tout le moins, de « reconnu » (ne serait-ce que dans votre domaine de compétence ou d’expertise), on devrait se trouver assez facilement enclin à accepter votre invitation (quelle indéniable gratification pour l’ego que de se voir ainsi inclus dans le cercle restreint de vos connaissances)… En revanche, si vous vous avérez être seulement un ancien compagnon de régiment d’un lointain cousin parti vivre à l’autre bout du monde, les chances que nous ayons davantage de points communs que ce simple rapport des plus ténus semblent, de prime abord, relativement minces. Et ce n’est pas, non plus, parce que vous avez naguère travaillé comme plombier sur un chantier conduit par le maître d’œuvre qui a dirigé les travaux de la résidence secondaire de mon oncle que les possibilités d’une relation pérenne se trouvent mécaniquement garanties dans un avenir proche.

Cette propension à l’accroissement quasi-systématique du tissu relationnel de chacun semble plus particulièrement prégnant parmi les réseaux sociaux possédant une orientation à « vocation professionnelle ». Ces services proposent en effet souvent toute une palette d’outils qui, par différents mécanismes de recoupement, établissent de longues listes de relations potentielles, qu’elles puissent être basées sur des connexions communes, des affinités supposées ou d’éventuelles proximités géographiques. Un simple bouton de commande permet ensuite d’automatiser le processus de mise en relation, généralement par l’envoi d’un message automatique généré par le service lui-même.

Cependant, tous les maîtres-nageurs de la planète devraient-ils se trouver connectés les uns aux autres, en raison de leur passion supposée pour l’eau fleurant bon le chlore ou de leurs irrépressibles besoins de faire des longueurs de bassin ?

De manière plus générale, sur n’importe quel type de réseau, lorsque l’on a décidé de se constituer un petit cercle composé de quelques amis ou de membres plus ou moins dispersés de sa famille, ne s’avère-t-il pas quelque peu inapproprié, voire inopportun, de voir quelques collègues de bureau méconnus, avec qui on aurait, tout au plus, échangé quelques banalités météorologiques auprès de la machine à café, souhaiter s’y introduire ? Voilà qui ressemblerait quelque peu à vouloir organiser un barbecue pour une poignée de proches, réjouissance au cours de laquelle on peut légitimement supposer que la majorité d’entre nous ne s’attendrait pas à découvrir un nombre indéterminé de relations professionnelles (ne serait-ce que par crainte légitime de la pénurie de saucisses).

Si les outils s’avèrent commodes (et parfois même, il faut bien le reconnaître, occasionnellement pertinents), leur facilité d’emploi n’exempte pas d’éviter, autant que faire se peut, une utilisation totalement mécanique : se différencier du robot envoyant laconiquement un message énigmatique apparaîtra assurément comme une preuve minimale d’humanité à une époque où l’automatisation semble trop souvent la règle. Si, incontestablement, ces réseaux peuvent permettre à des « gens » d’entrer en contact (le terme « rencontrer » s’avérant tout de même relativement peu approprié), il nous reste cependant encore à démontrer que nous sommes bel et bien des êtres humains et pas seulement de simples routines informatiques…

Image d’illustration : Penguin Shake par Baron Reznik (licence CC BY-NC-SA 2.0)

Initialement publié en avril 2015, ce billet a été assez largement remanié et révisé lors de la refonte du site en mars 2018.

Image

P. Mergey

Cogito ergo scribo.


 

Image

MNO

Miscellanées numériques d’un ours

Retourner à la page d'accueil