J’avoue que je ne sais plus trop de quelle manière j’en suis arrivé à découvrir le Bullet Journal1 et sa méthode.
Je cherchais un peu à tâtons comment mieux organiser ma vie. Perdu au milieu de multiples calendriers informatiques et de nombreux fichiers chronologiques, j’ajoutai perpétuellement des notes éparses sur des cahiers ou des feuilles volantes : je jonglais, sans précisément me souvenir de tout, sans jamais réellement être à jour, sans réussir à véritablement rien planifier.
De manière intuitive, je tenais déjà un fac-similé de journal, sauf que je n’avais pas encore adopté certains grands « principes » : je me limitais à une unique feuille mensuelle dans un banal cahier à spirales, avec néanmoins un genre de « migration » quand je déchirai la page du mois qui venait de s’achever.
Un de mes premiers étonnement a été de découvrir que cette méthode d’organisation personnelle et personnalisable avait été mise au point par un individu exerçant une activité dans le même domaine (essentiellement « numérique » en théorie) que celui où j’ai essayé d’œuvrer (sans grand succès). Par ailleurs, une autre coïncidence quelque peu intrigante fut de constater que ma fille avait aussi entendu parler de ce concept (manifestement avant moi) et tenté de débuter un journal de ce type (mais, apparemment, sans véritablement avoir pris la pleine mesure des aspects méthodiques et du système d’organisation qui en constitue les fondations).
Je ne compte certainement pas présenter l’ensemble de la méthode en quelques lignes, au risque de répéter moins correctement ce que son concepteur a déjà explicitement énoncé tant sur son site que dans l’ouvrage qu’il a fait paraître2.
L’une de ses principales caractéristiques, surtout à notre époque du « tout numérique » s’avère d’être par essence purement « analogique » et de ne nécessiter que très peu de matériel ou de ressources : au départ, il suffit d’un carnet et d’un stylo. Un système « à l’ancienne » en quelque sorte (qui aurait pu voir le jour bien avant l’invention des ordinateurs et de toute la pléthore d’appareils connectés qui a suivi).
Plus que l’aspect « artistique » ou simplement « esthétique » (que l’on trouve assez souvent mis en avant sur le vaste réseau mondial), c’est avant tout la simplicité du concept de base qui a suscité ma curiosité : un système rationnel et cohérent permettant de « centraliser » le plus grand nombre de « pensées » possibles dans un même et unique espace, facilement accessible, manipulable et consultable.
Trois grandes notions forment l’assise de cette méthode (et il sera difficile de nier qu’elles peuvent paraître particulièrement suggestives lorsque l’on traverse une période de crise) : « comprendre le passé », « organiser le présent » et « définir le futur ».
Quand on débute ce type de journal, c’est surtout et avant tout les aspects concernant la gestion du présent qui s’avèrent aisément identifiables (ils constituent même probablement la principale motivation à se lancer dans une telle entreprise manuscrite). S’atteler à comprendre le passé constituera vraisemblablement l’un des atouts majeurs à venir : relire certaines tâches (dans d’anciennes pages voire de précédents carnets) et observer comment on les organisait alors pourra permettre de cerner un peu mieux qui était la personne qui écrivait à ce moment-là (et, on peut l’espérer, de remarquer les changements, en espérant qu’ils aient été positifs). De prime abord, l’idée de « définir le futur », si attirante qu’elle puisse être, reste cependant difficilement envisageable.
Pour mon propre « journal de bord », et plus exactement pour mon tout premier, la préparation a débuté par une vaste « vidange cérébrale3 » : j’ai consigné en vrac absolument tout ce qui me passait par la tête, regroupé tout un tas de notes et de commentaires qui existaient par ailleurs et rassemblé toutes les idées que j’avais dispersées en de multiples endroits. Une fois acquis mon premier carnet, j’ai pu ensuite les répartir en « collections » et véritablement pu commencer à reconsidérer mon existence autrement.
Pour l’objet en lui-même, tant qu’à apprendre et suivre une nouvelle méthode, autant utiliser le meilleur outil disponible voire, éventuellement, celui qui aurait été précisément conçu à cet usage. J’ai donc opté pour le carnet réalisé en collaboration avec l’auteur de la méthode4. Au départ, l’objet semble un peu intimidant, presque trop beau pour qu’on ose se lancer à écrire dessus. Puis, à l’usage, on apprécie la grande qualité du papier couleur ivoire, assez épais pour ne pas laisser voir ce qui est noté sur l’autre côté de la feuille. La trame des pointillés (les pages ne sont pas lignées, ce qui n’est pas sans demander un certain apprentissage), bien qu’un peu pâle, s’avère parfaitement dimensionnée et les discrets repères permettant de scinder une page en deux ou trois se révèlent incontestablement pratique à l’usage. Muni d’un bon stylo feutre à pointe fine5, j’étais prêt à me lancer.
En un peu moins de quatre mois, j’ai donc noirci près de cent-quatre-vingts pages de ce beau carnet : j’ai certes été prolixe mais pas encore aussi productif que je l’aurai souhaité (une méthodologie ne s’apprend pas spontanément et les événements peuvent parfois évoluer de manière inattendue ou inconcevable). J’ai pu néanmoins tirer quelques enseignements de ces premières semaines d’utilisation.
Le tout premier tient à ma redécouverte de l’écriture manuscrite, à la liberté et la fluidité qu’elle offre à peu de frais : il est si facile de laisser libre cours à sa pensée en maniant un simple stylo. Par ailleurs, comme l’évoque l’auteur, son rapport au temps ne se conçoit pas de la même manière et « la complexité du mouvement tactile (…) requiert davantage l’esprit que l’utilisation du clavier ». Enfin, comme on me l’a appris récemment, elle permet aussi de mettre de la distance entre les faits immédiats et la manière dont on les envisage, dont on les appréhende, dont on pense pouvoir les traiter.
À l’usage, je me suis aussi aperçu que la « vidange mentale » ne s’avérait peut-être pas uniquement appropriée au « début » d’un carnet (fut-il le premier). Certaines pensées ne peuvent aisément rentrer dans une case bien établie dès qu’elles parviennent à franchir les frontières de l’inconscient où elles sommeillaient : il arrive qu’une question, un problème, une idée ou une difficulté survienne sans qu’on ait immédiatement conscience de l’endroit le plus approprié où la conserver. Se laisser un emplacement libre pour noter et consigner ces idées fugaces et éphémères au moment où elles émergent, sans avoir besoin de réfléchir à une quelconque classification ou à leur traitement ultérieur effectif, constitue assurément un « espace de décharge » extrêmement commode.
La révision, voire la refonte complète d’une collection envisagée à un moment donné démontre par ailleurs la souplesse indiscutable du système : rien n’est « gravé dans le marbre » et recopier ou réorganiser des séries de pages antérieurement conçues sous une autre forme témoigne de l’évolution des priorités, des orientations, des décisions, des chemins qui se dessinent à l’horizon, qu’ils soient bien tracés ou mois fréquentés. Rien ne sert de vouloir concevoir des sections immuables et définitives : chaque carnet ne sera qu’une étape, qu’un passage. Pour reprendre le concepteur de la méthode : « chaque fois que vous vous surprendrez à pinailler sur le moindre détail pour que tout soit parfait, souvenez-vous que votre carnet n’est qu’un outil ». Au mieux, l’élaboration de ces collections, mais surtout leur « amélioration progressive6 », afin qu’elles correspondent à la réalité la plus concrète et que les tâches qui y sont répertoriées soient menées à bien de manière effective doivent être regardés comme des axes de progression.
J’y vois un peu plus clair aujourd’hui pour envisager comment « organiser le présent » : pensant avoir trouvé la bonne « distance », j’ai déjà prévu sur combien de mois s’étendrait le nouveau carnet que j’ai débuté il y a quelques jours.
Utiliser cette méthode et l’objet qui la matérialise me démontre chaque jour, depuis plusieurs mois maintenant, que la résolution de nos problèmes ne passe pas obligatoirement par une solution numérique, quel que soit son attrait. Facilement consultable (l’index constitue un outil simple et efficace), spontanément manipulable (pas besoin de créer des règles de recherches complexes), indubitablement fiable (un carnet ne peut pas « tomber en panne »), aisément transportable (même s’il ne se glisse par dans la poche, il prend bien moins de place qu’un ordinateur), mon « journal de bord » est désormais devenu mon instrument quotidien pour « organiser le présent » qui m’échappe en espérant « définir le futur » dont j’ignore tout.
Image d’illustration : Journaling supplies par P. Mergey sur Unsplash (licence Unsplash)
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Je n’ai strictement rien contre l’usage de l’anglais, mais je dois bien avouer que certaines connotations que ce terme de « boulette » peut avoir dans la langue française ne me plaisent guère, surtout en raison d’une expression utilisant ce mot pour désigner couramment une bévue ou une erreur. Je préfère donc plus volontiers parler de « journal de bord » (même si cela occulte quelque peu la méthode utilisée), ce qui me semble faire particulièrement sens et offre l’avantage de rappeler cet ouvrage emblématique tenu par les capitaines de navires (ainsi que, incidemment, celui de conserver les mêmes initiales). ↩
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L’auteur œuvrant dans le domaine de la conception de sites, l’une des principales ressources demeure bien entendu celui qu’il a consacré à la méthode qu’il a conçue. Il a ensuite rédigé un ouvrage pour la présenter, lequel s’avère disponible en langue française aussi bien en grand format qu’en livre de poche. ↩
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Je préfère nommer cette étape en utilisant le substantif « vidange » plutôt que « vidage » (qui me semble plus commun et parlant) et l’adjectif « cérébrale » et non « mental » (qui me paraît physiologiquement plus évocateur). Cette phase essentielle est présentée sous le nom « inventaire mental » par l’auteur de la méthode en question. Elle s’apparente beaucoup à d’autres exercices pratiques qu’on peut trouver dans d’autres approches. ↩
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En l’occurrence, mon choix s’est porté sur la deuxième édition de ce type de carnet. Une présentation détaillée peut être consultée sur le site consacré à la méthode et la maison qui le commercialise propose aussi une page dédiée au produit. ↩
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Tant qu’à citer le carnet que j’ai choisi, je me dois de mentionner aussi la page du fabricant présentant le stylo que j’utilise. ↩
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Je fais ici un emprunt parfaitement assumé à une terminologie proche de celle du kaizen, cette autre méthode basée sur la succession de modestes mais constantes améliorations. ↩